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De la santé mentale des journalistes – Assises du journalisme de Tours


Si l’étude I.M.P.A.C.T.S. menée en 2015 par Santé Publique France suite aux attentats perpétrés à Paris par des terroristes islamistes, met en avant la détresse des professionnels présents immédiatement auprès des victimes – pompiers, médecins, infirmiers, policiers, associatifs – elle oublie purement et simplement les journalistes qui couvrirent les événements sur le terrain.

Insubmersibles, les journalistes ? Infrangibles ? A d’autres ! Du côté du DART Center for Journalisme and trauma, l’impact sur la santé mentale des journalistes témoins d’un événement traumatisant est une évidence. Qu’il s’agisse d’un tsunami, d’un attentat, d’une inondation, un humain sort rarement indemne d’une situation de stress intense. Être journaliste ne suffit pas à se prémunir d’un stress post-traumatique. Ni à faire face à un quotidien professionnel stressant, avec ses coups de pression et ses petites violences ordinaires.


La santé mentale des journaliste, un sujet à l’honneur lors de la 18e édition des Assises Internationales du Journalisme de Tours.



Article initialement publié sur le blog Mondoblog – RFi de Melissa Wyckhuyse



ll est une petite ville tranquille, au centre de la France, à une heure de train rapide de la capitale. Cette ville, c’est Tours. Une fois l’an, elle devient pour quelques jours ce que d’aucuns appellent la « capitale du journalisme ».

C’est que depuis près d’une décennie, maintenant, s’y tient tous les ans un évènement qui s’adresse non seulement à « la profession », mais aussi au grand public. Cet évènement, ce sont les Assises du Journalisme.


Ainsi, l’étudiant aspirant à entrer dans la carrière quand ses ainés n’y seront plus, et en quête d’un stage, ou d’un début de réseau ; le quidam curieux de prendre le pouls de qui l’informe – ou s’efforce de – ou encore la professeur-documentaliste, souhaitant édifier ses collégiens et prévenir leur appétence pour les fake news, le temps de quelques jours, nagent dans les mêmes eaux que le journaliste vedette de la télé, la pigiste en lutte pour des médias éco-conscients, ou l’entrepreneur qui lance un nouveau média innovant.


Chaque année, les organisateurs choisissent un thème fédérateur. Si en 2024 le thème des Assises du journalisme était – Jeux Olympiques obligent – le sport, en 2025, ce sont les faits divers.


Dans la programmation, se trouvent aussi des conférences, en accès libre, sur des sujets variés en lien avec le monde des médias. Je partage ici avec vous mes notes, prises lors d’une de ces conférences, et qui m’a particulièrement intéressée. J’augmente ces notes de quelques liens et références.


Assises du Journalisme – Masterclass sur la protection psychologique des journalistes – Avec Olivia Hicks, médecin du travail à l’ AFP et Laurent Brunel, Ecole supérieure de journalisme de Lille

Prolégomènes


Il est toujours bon, sans doute, de rappeler qu’en France, le Code du travail prévoit que l’employeur doit veiller à la santé et à la sécurité de ses équipes, et éviter l’exposition aux risques psycho-sociaux, y compris les agissements sexistes.


Code du Travail, article 4121-2 : Obligations de l’employeur


Or, dans le cadre de leur activité professionnelle, les journalistes peuvent être exposés à des situations de stress intense, faire face à la souffrance d’autrui, craindre pour leur propre vie. C’est vrai pour les reporters de guerre, mais aussi pour ceux qui assurent la couverture d’une catastrophe climatique , d’un AVP – Accident de la Voie Publique, de violences familiales, institutionnelles, d’un #procès, et se retrouvent face aux victimes ou aux proches. Et parmi les victimes, peuvent aussi se trouver des collègues agressés ou assassinés en faisant leur travail. Il y a aussi les journalistes qui travaillent sur les banques d’images de massacres, attentats, pour les vérifier. Cela veut dire que l’on peut être traumatisé par un évènement qui nous touche directement, ou par le récit que nous en fait une victime, comme si on était traumatisé par procuration.
Les services les moins touchés seraient l’économie et le sport.
#neuronesmiroir #PTSD #vicariant

Limiter les conséquences psychologiques


Il est possible de prévenir ou de limiter les conséquences psychologiques d’une exposition à un évènement en proposant une formation aux journalistes avant d’aller assurer la couverture d’un événement potentiellement traumatisant. A cet égard, l’AFP serait le seul média à avoir proposé une telle formation à ses journalistes missionnés sur le procès Mazan.
Parmi les conseils qui peuvent être donnés aux journalistes, il y a l’auto-simulation alternée pendant l’exposition (par exemple le procès ou le récit de la victime, d’un témoin). Après l’exposition, on peut visualiser toutes les portes qui se ferment entre le lieu d’exposition et la porte de son domicile, pour se mettre à distance : la porte du métro, la porte du bureau, ect. jusqu’à la porte de chez soi. Faire quelques parties de tetris, du yoga, des exercices de cohérence cardiaque avec une appli mobile sont aussi de bonnes routines.


« Le tetris ou tout jeu mettant en jeu la vision dans l’espace peut être utilisé dans les 6 heures suivant une exposition traumatique pour limiter le risque de stress post-traumatique . La cohérence cardiaque est utilisée soit en prévention, soit au moment d’un stress. »
Dr Olivia Hicks


« Pas pleurer »

Les jeunes journalistes n’aiment pas moins leur métier, seulement, ils ne souhaitent plus tout lui sacrifier. Ni leur vie personnelle, ni leur santé mentale.
Même si la parole semble se libérer chez les jeunes journalistes, l’esprit bravache – « c’est le boulot, c’est comme ça » – et son verre d’alcool « pour décompresser » existent encore. L’alcool est un anxiolytique puissant, qui provoque une dépendance et un phénomène d’accoutumance. Au début, on va boire un verre entre collègues après une journée difficile, mais « un verre » ça peut aussi devenir quatre ou cinq.

« Même pas mal » ? L’effondrement ne survient pas toujours après l’exposition à une situation difficile, mais parfois à distance, plusieurs jours, ou mois après, suite à une accumulation d’évènements, jusqu’à l’article de trop. « Même pas mal », pas d’émotions, ça peut aussi vouloir dire : dissociation ou sidération. Un état où le cerveau « éteint » les émotions pour ne pas mourir de stress.

Les femmes journalistes sont-elles plus « à risque de traumatisme » que leurs confrères ?

Oui, et non.
Gare au préjugés sexistes : les femmes ne seraient pas plus fragiles par « nature », mais plus fragilisées, d’une façon générale, avant d’être exposées à une situation traumatisante dans leur activité professionnelle. Car en tant que femmes, elles affrontent parfois quotidiennement des difficultés liées au genre, auxquelles leurs confrères n’ont pas à faire face. Cela peut être aussi bien la nécessité de justifier constamment ses compétences, de montrer que l’on mérite sa place dans un univers de « bonhommes », de devoir jouer des coudes pour aller aussi sur le terrain, que des antécédents personnels.

Que l’on imagine l’effet produit par des années de « petite » chronique, « petite » émission, « petit » article, « petit » reportage, « petit » média, et petite visibilité et petite promotion.

Que l’on pense à celles qui « quittent la profession » – Jean-Marie Charon et Adénora Pigeolat, Hier, journalistes. Ils ont quitté la profession, Éditions Entremises, 2021 – coincées par le plafond de verre et trop « vieille », peut-être, pour être tokenisée.

Que l’on considère ici le pourcentage de femmes et de fillettes parmi les victimes d’inceste et d’agressions sexuelles, dans la population française.
L’exposition à une situation traumatisante – couverture d’un procès par ex. – s’ajouterait donc pour certaines à d’autres difficultés.


« En ce qui concerne la  « libération de la parole »  je n’ai que des hypothèses… Une des hypothèses est liée à l’arrivée dans le domaine public, depuis les attentats de 2015,  des notions de stress post-traumatique. Par ailleurs la féminisation de la profession est peut être également responsable puisque les femmes partagent plus volontiers que les hommes leurs difficultés et recherchent plus souvent de l’aide. Et comme vous le dites, les femmes ayant plus d’antécédants de traumas , elles seront peut-être plus souvent victimes de TSPT – Trouble du Stress Post-Traumatique »

Dr Olivia Hicks




Samuel Lamoureux, « Jean-Marie Charon et Adénora Pigeolat, Hier, journalistes. Ils ont quitté la profession », La nouvelle revue du travail [En ligne], 20 | 2022, mis en ligne le 12 avril 2022. – Extraits

URL : http://journals.openedition.org/nrt/11789 ; DOI : https://doi.org/10.4000/nrt.11789


Extraits :


Olivia Hicks évoque cette reporter dont le traumatisme n’est pas lié aux zones de conflits qu’elle arpente, mais à son agression sexuelle par son redac’ chef.

Lorsque des personnes identifiées comme référentes, soutien ou pair se muent en agresseurs, cela ajoute un fort sentiment de trahison. De même si ces personnes sont témoins de l’agression, et n’apportent ni aide ni soutien à la victime, voire l’ostracisent.

A noter : les blagues « lourdes » au quotidien, les allusions sexuelles, photos pornos accrochées au mur de la salle de rédac’ sont considérées comme des agressions sexistes ou du harcèlement sexuel.


Dans une rédaction, arrive-t-il que les femmes se montrent plus dures/beaufs/misogynes que leurs collègues masculins, pensant ainsi se protéger ou se faire accepter ? 

« C’est ce que j’ai pu constater pour les journalistes les plus âgées qui ont dues être dures pour se maintenir dans la profession et notamment dans le cadre de femmes managers. »

Dr Olivia Hicks



Un peu d’éthique

Il pourrait être tentant, pour avoir un article bien « juicy » de proposer un témoignage exclusif de victime. Vouloir faire à tout prix raconter, poser des questions intrusives pour « informer » et « être précis », c’est aussi potentiellement faire revivre une scène traumatisante à une victime, puis la laisser seule au milieu de ses images, après avoir récolté sa parole et… « fait son boulot ». Informer n’est pas incompatible avec prendre soin de la personne qui témoigne.


« La liberté et le devoir d’informer est bien sûr essentiel. Mon intention est que les journalistes aient conscience des risques pour les victimes. »

Dr Olivia Hicks



Ressources :


The Dart Center for Journalism and Trauma « est un centre de ressources et un réseau mondial de journalistes, de formateurs en journalisme et de professionnels de la santé qui se consacrent à l’amélioration de la couverture médiatique des traumatismes, des conflits et des tragédies. Il s’agit d’un projet de l’École supérieure de journalisme de l’Université Columbia à New York, avec des antennes internationales à Londres et à Melbourne. »
Columbia University


Article – Le Point – Pourquoi les hommes ont-ils plus de mal à consulter un psy ? – Nathan Tacchi, 14/03/2025