Plan Séquence : Jean-Pierre Améris raconte Marie Heurtin
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Plan SéquenceÉmission du jeudi 13 novembre 2014 |
Cette semaine après quelques news, on vous diffuse l’interview de Jean-Pierre Améris pour son film Marie Heurtin, réalisée par Gribbsie aux cinémas Studio. Mélie vous parle avec émotion de Respire, le nouveau film de Mélanie Laurent. Pour finir, Ismail vous parle de Qui Vive.
Musique :
Production de l’émission : Gribbsie, Ismail, Jrmy Mélie et Solenne.
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Plan Séquence : Jean-Pierre Améris raconte Marie Heurtin
Plan Séquence
Émission du jeudi 13 novembre 2014
Baladodiffusion
https://www.radiocampustours.com/2014/11/26/plan-sequence-jean-pierre-ameris-raconte-marie-heurtin/
Interview de Jean-Pierre Améris pour son film Marie Heurtin, réalisée par Gribbsie aux cinémas Studio.
Production de l’émission : Gribbsie, Ismail, Jrmy Mélie et Solenne.
Transcription par Maurice Churlet. Bande son 25 mn
G pour Gribbsie et A pour Jean Pierre Améris.
G : Bonsoir Jean Pierre Améris. Merci pour cet entretient que nous réalisons pour Radio Campus Tour, à l’invitation des Cinémas Studio.
Alors je vais resituer un peu le film pour nos auditeurs et auditrices.
Alors, avec votre nouveau film, qui sortira le 12 novembre, « Marie Heurtin », vous semblez ne pas changer tellement de registre, après l’homme qui rit et sa grande histoire d’amour entre un balafré et une jeune aveugle, puisque Marie est une jeune aveugle et sourde de la fin du 19ème siècle, qui vraiment va avoir un lien très fort avec sœur Marguerite, une religieuse qui va prendre soin d’elle au sein d’un hospice pour jeunes femmes, jeunes filles, sourdes, en lui apprenant à communiquer, à interagir pleinement avec les autres, alors qu’elle arrive, au début du film, telle une sauvageonne.
Ma première question ce serait de vous demander si vous aviez envie d’explorer plus avant le thème de la relation entre deux êtres avec ce film ?
A : J’ai toujours été, en effet, très sensible, dans mes films, depuis vingt ans que je fais des films pour le cinéma, au thème de la différence, hein : j’aime raconter des histoires de personnages qui ont, ou un handicap, ou quelque chose qui les met hors de la société.
Et moi j’aime les mettre au centre de l’écran. J’ai fait un film en prison, avec des prisonniers, un film sur les malades en fin de vie, « C’est la vie », j’ai fait un film sur les clandestins de Calais…
Donc c’est quelque chose qui m’attire toujours, quoi, les lieux où ça souffre et les lieux où il y a de la différence, mais où il y a aussi de la soif de communication.
J’ai toujours été passionné par l’histoire d’Helen Keller, qui est la plus célèbre histoire de sourde aveugle, cette américaine, en 1910, non pas née sourde et aveugle comme Marie Heurtin, mais devenue sourde et aveugle à l’âge de 19 mois à la suite d’une méningite, et l’histoire d’Helen Keller, et de sa gouvernante Anne Sullivan, qui l’avait sauvée en lui apprenant une autre langue des signes, avait donné ce film magnifique qui m’avait marqué quand j’étais adolescent, qui était « Miracle en Alabama », d’Arthur Penn, un film magnifique.
J’ai toujours aimé cette histoire, je me suis même, il y a une dizaine d’années, intéressé à la pièce théâtre de laquelle était parti Arthur Penn, et on s’est rendu compte qu’Helen Keller restait une star internationale, c’est-à-dire il y a une fondation Helen Keller, elle est connue dans le monde entier, les américains refont tous les vingt ans l’histoire de sa vie, et les élèves, y compris en France, CM2 ou 6ème, continuent d’étudier son autobiographie.
Donc je suis resté un peu sur cette déception, j’ai continué à lire beaucoup sur les sourds aveugles, jusqu’à tombé sur une histoire, pour le coup oubliée, inconnue, française : celle de Marie Heurtin et de sœur Margueritte.
On est quinze ans avant Helen Keller, on est en 1895, on est à Nantes, Marie Heurtin est née dix ans auparavant, à l’âge de dix ans, née sourde et aveugle, elle est comme une enfant sauvage, comme l’enfant sauvage de François Truffaut, et son père, qui aime beaucoup sa fille, a été voir un médecin n’est pas qu’elle soit sourde et aveugle, c’est qu’elle est débile, elle est bonne pour l’asile.
Il va voir l’asile psychiatrique de Nantes, il voit que c’est horrible, il ne peut pas se résoudre a y mettre sa fille, et heureusement, il a entendu parler de religieuses, à côté de Potier, à l’armée, qui s’occupe de filles sourdes, il va les voir, avec sa fille,
Dans un premier temps, la mère supérieure dit : mais monsieur on ne peut pas lui apprendre la langue des signes que nous enseignons à nos jeunes filles, elle est aveugle aussi, elle ne verra pas la langue des signes, et heureusement, une petite religieuse, je dis petite religieuse avec affection, têtue, s’occupant d’avantage du potager que d’éducation, a dit : mais moi je vais m’en occuper. Je ne sais pas si j’y arriverai, mais je vais m’en occuper.
Et heureusement qu’elle s’en est occupée, parce qu’elle a réussi à lui apprendre la langue des signes dans la main, à développer même cette langue des signes dans la main, que l’on utilise toujours avec les sourds et aveugles, avec lesquels moi j’ai beaucoup travaillé depuis dix ans, et jusqu’à ce que Marie Heurtin s’ouvre au monde, s’ouvre au langage, et devienne une fille qui a réussi à écrire en braille, qui a réussi à voyager et a vivre pleinement.
C’est ce que je voulais raconter.
G : Du coup, je vais aborder plutôt dans le choix des interprètes que vous avez fait, puisque vous aviez déjà travaillé avec l’actrice Isabelle Carré, en 2010, pour le film les émotifs anonymes, et vous avez là pensé à elle pour le personnage de sœur Marguerite en écrivant le scénario ?
A : J’ai écrit le scénario, en effet, en pensant à Isabelle Carré, avec laquelle j’avais, il y a sept ans, « Maman est folle », pour la télévision, où elle jouait le rôle d’une mère au foyer, un peu fragile, qui trouve un sens à sa vie en s’occupant des clandestins de Calais, et ensuite nous avons tourné ensemble « Les émotifs anonymes », il y a quatre ans maintenant, et j’ai écrit le rôle de sœur Marguerite en pensant à elle, pourtant elle ne ressemble pas du tout aux photos qu’on a de sœur Marguerite, qui était plus forte et plus solide physiquement, mais j’étais sûr qu’Isabelle serait merveilleuse dans ce rôle, et en effet, quand elle l’a lu, elle s’est emparé immédiatement de la chose à faire, c’est-à-dire, c’était d’apprendre la langue des signes. Hein.
Sœur Marguerite, évidemment, parlait la langue des signes, et Isabelle à appris la langue des signes, s’est prise de passion pour cette langue magnifique, pendant les sept mois qui ont précédé le tournage, à tel point qu’elle pouvait communiquer avec toutes les actrices sourdes qui sont dans le film, les autres religieuses, les petites filles du pensionnat, ce sont toutes des sourdes, et elle continue, aujourd’hui, de pratiquer cette langue des signes.
Et c’est pas étonnant pour une actrice, parce que, bon, d’habitude, dans les films, y compris les miens, bon, souvent on fait des scènes avec des gens qui parlent, assis à des tables, dans des cafés ou des restaurants, et là il y avait au moins, finalement, l’occasion d’une histoire où c’est le corps entier qui parle, justement on n’a pas la parole.
Comment on communique avec une enfant née sourde et aveugle ? Déjà, comment on communique avec une personne sourde ? Et il fallait, donc, engager le corps entier.
Pour une actrice, en plus Isabelle adore la dance et tout, c’était presque une chorégraphie.
Et toute une histoire, et c’est ça qui est magnifique dans cette histoire entre sœur Marguerite et la petite Marie, c’est que c’est une histoire de corps, quoi, hein !
C’est ce que j’ai découvert, moi, avec les sourds aveugles, quand je suis allé pour la première fois à Potier, et passer les quelques années qu’il a fallu pour écrire le scénario à leur contact. Beaucoup de choses qui sont dans le film viennent de mon observation de ces enfants, ces adolescents sourds et aveugles, c’est que, eux, tout passe par le toucher et l’odorat.
Quand ils viennent à votre rencontre, hein, ils viennent à votre rencontre les mains en avant et vous touchent le visage, dessinent l’aile de votre nez, vous reniflent, et ça crée une communication très différente, euh, drôle aussi, et c’est pour ça que le film a quelque chose de très joyeux, hein. L’arrivée de cette petite enfant sauvage, qui vient avec ses mains en avant, et qui est, soit violente, soit dans la tendresse, et qui touche tout le monde, chez ces religieuses, c’était joli, quoi, hein. Et toutes les religieuses que j’ai vues ensuite, et qui, d’autres s’étaient occupées dans les années 70 de gamines, disaient que, voilà, c’était très joyeux.
G : C’est vrai, je voudrais témoigner que quand nous avons découvert le film, à l’occasion de l’avant première au studio ce matin, on s’est fait la réflexion qu’au niveau des sens on avait ce côté tendre avec le côté un peu plus sauvage, un peu violent, j’aime pas trop le mot, parce que, finalement, c’est une communication, c’est pas de la violence dans sa façon d’exprimer le rejet, et le touché, les visages, étaient tendres, étaient drôles, l’odorat effectivement, était très détaillé, c’est quelque chose qui était parfaitement communiqué dans le film.
Je reviens, à propos du personnage de sœur Marguerite, on parlait tout à l’heure de l’histoire d’Helen Keller, et on est tenté de faire le parallèle, effectivement, de façon très précise, avec sa gouvernante, son éducatrice, Anne Sullivan, qu’elle s’est imposée, d’une façon très similaire, auprès d’une jeune femme sourde, aveugle et muette, à la même période, et, au niveau de l’inspiration, j’ai été sensible au fait que, j’ai lu l’ouvrage quand j’étais plus jeune, évidemment, et le premier mot qu’elle a signé avec Helen Keller était eau, pour l’anecdote du haut d’un puits, et vous-même vous avez repris le mot couteau, donc est-ce que c’est quelque chose, un parallèle que vous avez voulu faire, ou c’est une anecdote que vous aviez trouvez dans ce qui a été consigné dans les observant contemporains ?
A : Tout ce qui est dans le film Marie Heurtin est vrai, hein, ça il y a eu évidemment un gros travail de documentation, difficile, puisque les français n’ont, en tous cas en l’occurrence hein, pas eu le même intérêt pour cette histoire que les américains, et qu’il y a relativement peu de documentation, mais je me suis basé, justement, sur les textes que Marie Heurtin a écrits par la suite, quelques notes de sœur Marguerite et des registres des filles de la sagesse.
Donc tout ce qu’on voit dans le film est authentique.
Ça ne me serait jamais venu, moi, à l’idée, que le premier signe que va apprendre Marie Heurtin, c’est le signe « couteau », pourquoi ? C’est parce que c’est l’objet qu’elle avait emmené de chez ses parents, un petit canif que lui avait donné ses parents et qui lui rappelait sa maison quoi, hein, elle le reniflait tout le temps, elle était malheureuse, hein, comme le sont les enfants handicapé aujourd’hui, hein, quand il s’agit de quitter la Lorraine pour aller à Poitier quand vous êtes sourd et aveugle, parce qu’il n’y a pas d’endroit nul part ailleurs.
Les enfants, quand ils arrivent là, ils sont séparés de leurs parents, de leur maison, donc évidemment ils sont en souffrance, ils sont malheureux, et Marie Heurtin, c’était la même chose. Et l’objet qui la reliait à chez elle, à Nantes, c’est une famille de Nantes, et elle était là à Poitier, c’était ce petit canif.
Et qui fait que Marguerite a eu l’idée, au bout de quelques mois, hein, il a d’abord fallu apprendre à la petite à ce laver, ce qu’elle refusait depuis dix ans, à se coiffer, à lui apprendre que ce n’est pas une agression, que c’est le respect de soi, hein, que de prendre soin de son corps, c’est quand même le trésor qu’on a sur cette terre, que c’est du respect de soi, que c’est pas une agression, lui apprendre à manger plus proprement, et ensuite il fallait lui apprendre le premier signe.
Et comment, comment apprendre le premier signe, comment créer cette étincelle, les éducateurs appelle ça une étincelle, dans le cerveau de l’enfant qui est né sourd et aveugle.
On a du mal à concevoir ce que c’est, même intellectuellement, ce que c’est naitre sourde et aveugle au monde, je n’entends pas, je ne vois pas où je suis.
Donc comment créer chez l’enfant l’étincelle que le monde est langage ?
Pour le bébé qui entend, ça va, il reproduit le langage, il reproduit ce qu’il entend de chez ses parents, c’est pour ça qu’un enfant à qui on ne parle pas, qu’on ne touche pas, qu’on n’aime pas va mourir, presque, comme un enfant handicapé pourrait le faire.
Et là, donc, elle a l’idée, à voir cette petite tout le temps tripoter son petit canif, de dire, ben je vais passer par là, quoi.
Et pendant des semaines, pendant des mois, c’est ce que raconte ce film, avec l’entêtement qu’avait sœur Marguerite, hein, en se plantant même, hein, elle a essayé de lui faire comprendre que le signe de « couteau » c’est les deux doigts qui vont l’un sur l’autre, et qu’il y a un rapport entre le signe et l’objet, et que si elle veut l’objet qu’elle désire, c’est l’objet transitionnel, hein, comme on l’appelle en psychanalyse, si elle veut cet objet, elle doit faire le signe « couteau ».
Et pendant des semaines, hein, c’est ce que montre le film, et gaguesque aussi, hein, c’est drôle, hein, parce qu’on a envie de dire à sœur Marguerite : mais laisse la petite tranquille, elle l’embête au petit déjeuner, laisse la boire son lait tranquille, hein, elle en peut plus…
Ben non, elle a bien fait sœur Marguerite, hein, c’est ce que montre le film, à un moment donné, c’est, comme avec les gamins de banlieue aujourd’hui, moi qui fait beaucoup de scolaire en milieu défavorisé, je me dis toujours : tous ces gamins qui ne croient plus en leur avenir, qui sont toujours déjà défaitistes, leur chance c’est de trouvé une sœur Marguerite, et le fait qu’elle soit religieuse n’a rien avoir à l’affaire, c’est une éducatrice, un enseignant ou quelqu’un qui dise : tu n’es pas débile et j’ai confiance en toi, mais maintenant il va falloir travailler.
C’est le sujet du film et c’est ce qu’a fait sœur Marguerite.
Et jusqu’au jour où la petite, et c’est une étincelle, a fait le signe « couteau ».
Et là Marguerite lui a donné son couteau et elle a compris qu’en faisant un signe, comme un bébé qui dit soif, biberon, qu’en faisant le signe « couteau » on lui donnait l’objet qu’elle désirait. Et après c’est comme une porte qui s’ouvre sur le langage, ah d’accord, j’ai compris la règle du jeu du monde, le monde est langage, et si j’ai soif je dois faire le signe « soif », si je touche un âne je dois faire le signe « âne », si je touche un visage je dois faire le signe « visage », c’est comme une porte qui s’ouvre.
Et ce qui m’a fasciné, il y a l’histoire de Marie Heurtin, mais il y a tout ce que j’ai observé avec ces enfants sourds et aveugles aujourd’hui, au même endroit, à l’armée, à Poitier, qui n’est plus tenu par des religieuses, qui est laïc depuis longtemps maintenant, c’est toujours la même chose, quoi hein, c’est-à-dire chez l’enfant né sourd et aveugle, ou devenu sourd et aveugle à cause du syndrome de User qui fait qu’on nait sourd et qu’on devient aveugle, il faut aller créer, susciter cette étincelle. C’est toujours ce suspens, hein, que j’ai vu là, pendant toutes ces années, avec c’est gamins, c’est-à-dire qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, ils pigent ?
Ah d’accord, j’ai compris, quand même : il faut faire un signe pour avoir l’objet que je désire.
Et à partir de là, c’est vraiment une porte qui s’ouvre, il y a une boulimie de connaissance, qu’on voit dans le film.
C’est pour ça que le film est l’histoire d’une réussite, hein, c’est quand même joyeux : on part de la pire situation et on sort de soi, on sort vers les autres, et c’est ça qui fait qu’après la petite a appris le langage, a appris tous les signes, a appris l’écriture, grâce à cette langue des signes dans la main, magnifique, qu’on utilise toujours, qui fait que la personne sourde et aveugle tend les mains vers vous, et si vous pratiquez la langue des signes, vous faites les signes dans l’air. Et c’est comme si elle les écoutait, quoi.
C’est une chose magnifique, alors que chez Helen Keller, Anne Sullivan lui faisait les lettres dans la main.
Ce sont les deux alphabets. Là c’est la langue mimique, la langue tactile, qu’a pratiquée sœur Marguerite, qu’on utilise toujours, et autrement c’est la langue dactylologique, avec les lettres dans la main.
Donc voyez, c’est faire ce film pour dire cette bonne nouvelle en fait, hein, que, quand même l’être humain est quand même génial pour inventer les moyens de la communication, qu’il a une soif de communication, que c’est un animal de communication, que tout seul on se repli, et puis ça parle de la transmission, ça parle de l’éducation, et puis, bon, c’est une histoire d’amour total entre Marguerite et Marie, c’est-à-dire, c’est sur le dont de soi et c’est sur l’échange.
C’est pas que Marguerite qui apprend des choses à Marie, aussi, dans cette histoire, c’est Marie qui a beaucoup appris à Marguerite, comme les petits sourds et aveugles m’ont beaucoup appris, moi, réalisateur, je me suis rendu compte avec eux, moi qui ai mes sens, je ne regardais plus, des fois, je n’écoute plus parce que je ne me pose plus, quoi, je ne m’arrête plus, quoi, sur les choses.
On va trop vite, dans ce monde là, et c’est le comble, pour moi, réalisateur, je me suis dit : mais je ne regarde plus. Alors qu’avec ces enfants, qui sont plus lents, hein, pour qui tout est plus lent, quand on allait se promener dans le parc l’après midi, et qu’on approche d’un arbre, toujours, ils découvrent le monde avec leurs mains.
J’aurais pu appeler ce film « La main et le monde », c’est un motif, un peu, à la Robert Bresson, mais c’est vraiment ça, c’est découvrir le monde avec sa main, et quand ils touchent l’écorce de l’arbre, là vous savez que l’arbre ils le perçoivent, ils le découvrent véritablement.
Alors que moi, je ne pourrais faire que faire que passer devant l’arbre. Et avec eux je m’asseyais, et du coup, en touchant moi aussi l’arbre, je me dis : mais c’est ça un arbre, c’est quand même magnifique.
Pareil vers l’âne, quand on allait voir l’âne après, l’âne se disait, bon ça y est, c’est encore les sourds et aveugles, je vais en avoir pour vingt minutes à être tripoter, mais, c’était magnifique parce que voilà, c’est le monde, c’est apprendre le monde, c’est communiquer avec les gens, avec les arbres, avec les animaux, par la main et par l’odorat.
Donc ça dit la puissance de l’être humain, c’est quand même un message positif.
G : Alors je quitte un instant Isabelle Carré et, disons un rôle de composition, puisqu’elle a appris à signer, et je vais vers le personnage de Marie, puisque je me demande comment à eu lieu votre rencontre avec l’actrice Ariana Rivoire qui se trouve, elle, être réellement sourde.
A : Au départ, moi qui suis très pragmatique, hein, pour un rôle de sourde aveugle, moi je voulais une fille sourde aveugle. Vraiment, j’avoue que je n’aime pas les films où on fait jouer des rôles de sourds par des entendant, des aveugles par des voyant, ça peut arriver, mais quand même. J’ai trouvé ça plus beau, par exemple dans les enfants du silence, qui était un très beau film, il y a une trentaine d’années, peut-être, où Marlee Matlin, hein, la fille qui avait eu l’oscar, était sourde et ça avait eu beaucoup de retentissement.
J’ai jamais compris pourquoi, moi qui est utilisé une fille sourde dès mon premier long métrage, le bateau de mariage, qu’on retrouve d’ailleurs dans Marie Heurtin, j’ai jamais compris pourquoi il n’y avait pas plus de rôles tenus par des sourds, des aveugles, en France. Moi j’avoue que j’ai toujours aimé faire ça. Mais là je voulais une fille sourde aveugle, j’en ai rencontré une que j’aimais beaucoup à Poitier, dans le centre, Nankin, que j’avais vu faire faire un spectacle de danse, parce qu’il faut dire ça aussi quand même, les sourds et aveugles, quand même, d’abord c’est des adolescents comme les autres, ils veules vivre, ils veulent faire des choses amusantes, et elle, je l’avais vu faire un spectacle de danse, elle travaillait à son ordinateur, ordinateur en braille, enfin elle faisait énormément de choses quand même, hein , comme toutes les ados, et je lui ai proposé le rôle, on a beaucoup discuté, elle a fini par refuser, quand même, hein. C’était tout de même un peu difficile peut-être, ça lui faisait peur, et surtout elle n’avait pas envie de jouer. C’est pas tellement parce qu’elle était sourde et aveugle, hein, c’est surtout parce qu’elle n’avait pas envie d’être actrice, quoi. Donc je trouve ça chouette, même si c’est une déception, et à partir de là, je me suis dit, bon, ben il faut une fille sourde, puisque dans cette histoire et dans cette communication, ce qui l’emporte, c’est la langue des signes, donc il vaut mieux une fille sourde qu’une fille aveugle, et à partir de là on a fait toutes les institues, les INGS, les institues de collèges et lycées pour sourds de France, à voir, à rencontrer, à chercher une fille entre 13 et 16 ans pour jouer Marie Heurtin.
J’en ai vu beaucoup, beaucoup, jusqu’à arriver un jour à Chambéry, à voir à passer le casting avec des filles toute la matinée. Donc je leur raconte le film, elles me racontent leur vie, qu’est-ce qu’elles aiment faire, etc., et à la cantine, je repère Ariana, à trois places de moi, à la grande table, et, c’est mon métier aussi, hein, mais je vois qu’elle avait quelque chose, en tous cas quelle dégageait, quand même, et je lui demande pourquoi elle ne s’est pas présentée au casting, elle me dit qu’elle a oublié de s’inscrire, que c’est horrible, et je lui dit ben c’est pas grave, viens entre deux rendez-vous, elle est venue, et, ça semble toujours légendaire, mais là c’est la cas, quoi, ça a été une immédiate évidence, c’était elle, quoi, c’était elle, quoi. C’était elle quoi, pour plein de raisons, elle était vive, il fallait pour ce personnage, quand même, une fille qui a à la fois une force, comme ça, et un appétit de vivre, et quelque chose sur son visage. J’ai appris après, elle me l’a raconté, pas la première fois, mais que, elle avait certains points communs, mais comme beaucoup de sourds, hein, avec Marie Heurtin, c’est-à-dire que quand elle était petite, personne ne parlait la langue des signes autour d’elle et qu’elle était dans un état de grande frustration de ne pas comprendre ce qui se disait autour d’elle toujours l’impression de manquer quelque chose, et donc ça avait créé chez elle une certaine, oui, on peut dire quand même, une certaine violence, quand même, une certaine brutalité, et qu’ensuite, avait apaisé la découverte de la langue des signes. Donc elle avait ces liens là avec Marie Heurtin, avec sa colère en tous cas. Ensuite, donc, je l’ai engagée et on a travaillé pendant trois mois avant le tournage, elle venait une fois par semaine à Paris, et elle s’est révélée être vraiment une des plus grandes actrices avec lesquelles j’ai tourné. Et le duo avec Isabelle Carré a immédiatement fonctionné, elles se sont très bien entendues, et les rapprochaient, là, bien sûr, le fait que dans la première partie la petite est dure, comme ça, c’est beaucoup de bagarres en fait, comme dans miracle en Alabama, et dans la deuxième partie c’est beaucoup de tendresse et c’est la petite qui accompagne Margueritte, donc c’était très physique, et chez Ariana, ce qui était merveilleux c’est qu’elle vit les situations, quand elle se bagarre, ça a beau être chorégraphier, c’est quand même des bagarres, Isabelle Carré était couverte de bleus, et donc pour une actrice comme Isabelle Carré, chevronnée, mais c’était formidable parce qu’elle ne pouvait pas avoir recours à ses trucs d’actrice. Il fallait vivre les situations. La petite refuse de se laisser coiffer, elle ne va pas l’aider, si la petite s’en va sous le lit, il faut aller la chercher quand même, elle ne va pas aider Isabelle hein. Et c’est ça qui était passionnant pour moi, c’était cette part réelle que j’avais à filmer.
G : Un petit détail, c’est que Marie Heurtin avait dix ans, je crois, quand elle est arrivée chez les religieuses. Pour Ariana, quel âge a-t-elle ?
A : Au moment du tournage elle avait 16 ans, elle fait un peu moins, mais je pense que ça aurait tout de même difficile, de prendre une petite actrice de 10 ans. C’est quand même un rôle qui englobe beaucoup de demande émotionnelle, donc je pense que ça aurait été un peu difficile avec une petite de dix ans. Là c’était bien parce qu’elle fait très jeune, elle est petite, elle fait très juvénile et en même temps elle avait une certaine maturité.
G : Alors au niveau de la thématique, de façon un peu plus technique, je me pose des questions au niveau de la retranscription sur grand écran. Comment on aborde au cinéma et on traduit en image l’apprentissage de la perception du signifiant, du signifié. Je précise pour nos auditeurs et auditrices, que le signifiant c’est une représentation mentale de la forme mentale de la forme matérielle, par exemple le couteau, la fourchette, tandis que le signifié ça représente le concept abstrait comme la maladie ou la mort, plus difficile à saisir, qui sont présents dans le film.
A : C’est ce qui était passionnant, hein, dans ce que, les quelques textes qu’avait écrit sœur Margueritte, c’était d’abord il faut apprendre le monde concret, hein. C’est ce que je trouve beau aussi, c’est que pour arriver au spirituel, il faut passer par le réel, quoi, c’est-à-dire le réel des corps, le réel des arbres, de la nature, le monde est réel. Et après, comme chez Robert Bresson donc, qui était mon cinéaste de prédilection, mais tout de même, ce que j’ai toujours aimé chez lui, c’est quand même voilà : on arrive au spirituel par le concret, dans pique Pocket, voilà, il faut aller chercher le porte feuille, enfin c’est une métaphore quand même de ce chemin là. Et ce qui était passionnant dans les écrits de Margueritte, elle disait, justement, dans un premier temps il faut apprendre le monde concret, le signe de chaque chose, de chaque objet, mais après comment faire pour les notions, quoi ? Donc c’était amusant quand elle a commencé à vouloir lui apprendre, ben la vieillesse, elle faisait venir une autre religieuse âgée, quoi, et puis la petite touchait le visage et voyait bien qu’il y avait les rides, et puis après jeunesse, donc c’était une petite copine qui venait et qui avait le visage tout potelé, donc c’était la jeunesse. Donc d’arriver aux notions là aussi par réel. Jusqu’au jour où il faut lui apprendre la mort, c’est quoi la mort et tout, ben le mieux c’est, voilà, le jour où une religieuse est morte, elle a été toucher le cadavre de la morte, quoi. C’est à dire, il y a rien de tel, si j’ose dire, il y a rien de tel, quoi, pour comprendre les choses. Moi je me souvenais, mon père est mort, il y a neuf ans, j’avais jamais touché de mort de ma vie, en touchant son visage, j’ai eu aussi le petit retrait, comme ça, qu’a Marie Heurtin dans le film, ça me donnait cette expérience là, parce que la mort c’est vraiment, en effet, le rocher froid, quoi hein. Je ne pensais pas que c’était ça. Et donc la petite aborde les choses comme ça. Après il fallait apprendre qu’est-ce que c’est Dieu, elle a une petite révolte contre ça, parce que c’est très abstrait et qu’elle dit, justement, très joliment : mais Dieu, comment veux-tu que j’y crois, puisqu’on ne peut pas le toucher.
G : Le travail sur la photographie m’a paru profond, et les couleurs notamment. Le arbres dans lesquels se réfugie Marie, ou les chasubles des religieuses, je me demandais ce que vous aviez fait au niveau du travail des contrastes.
A : C’était claire pour moi, dont le travail c’est quand même de voir le film avant de le tourné, hein, je le vois dans ma tête. Je disais à tout le monde ce sera mon film le plus lumineux. Et même chez les financiers, qui étaient très septique sur l’intérêt financier, justement, de faire un film pareil, qui en avaient très peur, et qui n’ont pas donné beaucoup d’argent d’ailleurs, tout le monde ne, personne ne me croyait quoi. Parce qu’on associe un peu trop rapidement, donc à mon sens, voilà, c’est l’histoire d’une sourde aveugle avec une religieuse : donc ça va être sinistre. Alors que c’est tout le contraire, hein. Moi, ce que j’ai vécu pendant toutes ces années là est quand même très joyeux, hein. C’est-à-dire avec les difficultés de la vie, vous avez des gens qui ont une telle envie de vie, finalement, qui vous donne une grande leçon de courage. Et donc c’était clair, pour moi, que ce serait aussi un film sur la beauté du monde. C’était clair qu’avec cette petite, elle va à la rencontre de quoi ? Elle va à la rencontre de la beauté du monde quand même, hein. Que le monde est beau, quoi, et qu’il n’est pas interdit à cette gamine parce qu’elle est sourde et aveugle, que le monde est accessible à tout le monde. Et que nous même qui avons nos sens il faut le revoir. Et c’est ça que je voulais proposer aux spectateurs, hein, c’est une expérience sensorielle, hein, voilà, il y a beaucoup, le film est au deux tiers en langue des signes, il y a beaucoup de silences, mais il y a beaucoup de silences habités, hein, comme quand on se met à vraiment écouter, ce n’est jamais le silence complet, hein, notamment à la campagne om ça se passe. Donc je voulais vraiment que ce soit, pour le spectateur, voilà, il y a relativement peu de musique, il y a une musique magnifique, au violoncelle, de Sonia Wieder-Atherton, il y a relativement peu de musique, justement pour qu’on soit au plus près des respirations, des souffles, du vent dehors, des craquements des bûches dans la cheminée, que le spectateur se remette dans l’expérience sensorielle que j’ai vécue moi, c’est-à-dire à revoir et réentendre.
G : Regarder et écouter, à l’issu de cet entretien vous allez participé à un débat qui va être traduit en langue des signes, qui en est à l’initiative ?
A : Ben c’est grâce à Roselyne Guérinot et l’équipe des Studios de Tours, où j’aime venir à chaque film parce que c’est un des meilleurs cinémas, pour moi en tous cas, c’est un des cinémas que j’adore depuis mon premier film, ça fait vingt ans quand même, c’est le neuvième film là, j’adore cet endroit, et là c’est expérience, aussi, que j’avais envie de partager avec les exploitants de cinéma, c’est-à-dire ouvrons, quand même des cinémas aux personne sourdes et aux personnes aveugles, quoi. Elles ont envie d’envie d’aller au cinémas, les sourds adorent aller au cinéma, les aveugles adorent aller au cinéma. Il y a aujourd’hui des outils, quand même, le sous-titrage pour sourds, c’est très facile à mettre aujourd’hui, pour les aveugles, il y a le casque avec l’audio-description, qui leur raconte le film. Donc il y a tous ces outils, mais finalement les sourds, par exemple, ne vont jamais voir les films français, parce qu’ils savent que pour un film français il y a juste une séance le jeudi à 13h12 et ils disent : mais nous on travail, quoi, hein, on est comme tous le monde, hein, on va pas aller à 13h12. Donc, les sourds ne connaissent pas le cinéma français, notamment mon actrice, mais tous les sourds, Emmanuelle Laborit, que j’ai beaucoup consultée, et j’avais au moins, avec ce film, modestement hein, mais que ça soit une petite pierre dans cette démarche là, quoi : d’ouvrir à tout ce public là, les sourds et les malentendants c’est quand même entre 3 et 5 millions de personnes en France, les aveugles c’est 2 millions, les sourds et aveugles c’est six milles personnes, donc il y a quand même, si j’ose dire, même tout un publique qui n’a qu’une envie c’est d’aller au cinéma. Moi, depuis que je me balade avec ce film, hein, je trouve ça très joyeux de voir, quand même, ce désordre joyeux même que ça provoque, tous ces sourdes, tous ces aveugles, et même ces sourds aveugles, avec tout ce paradoxe magnifique que les sourds aveugles adorent aller au cinéma parce que, là encore, la communication, la perception ça passe par … autre chose.
G : Je vous remercie pour ce moment, merci beaucoup pour cet entretien.